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Parmi les plateaux calcaires de revers de cuestas en Lorraine (France), celui de Haye, à louest de Nancy, possède la singularité dêtre traversé à deux reprises et à une quinzaine de kilomètres d'intervalle seulement par un grand cours deau. Il sagit de la Moselle qui a connu à cet endroit, au Quaternaire moyen, un détournement aux dépens de la Meuse et au profit de la Meurthe. Afin de préciser les circonstances hydrogéologiques de ce phénomène de capture hydrographique étudié depuis plus dun siècle, des recherches ont été entreprises sur le karst du plateau de Haye, et notamment dans la grotte Sainte-Reine à Pierre-Ia-Treiche (fig. 1).
Les principales cavités karstiques du plateau de Haye se situent dans la vallée de la Moselle, à flanc de versant, et ne sont plus parcourues par aucune circulation hydrologique. Cest le cas de Sainte-Reine, réseau inactif semi-labyrinthique dun peu plus dun kilomètre de développement (Louis et Lehmuller, 1966; (fig. 2).
Altitudinalement, cette grotte sétend de 210 à 227m, soit +3,5 à +20,5m par rapport au niveau actuel de la Moselle, ce qui en fait une des plus basses connues dans la vallée. Malgré cette extension verticale de 17m, elle ne présente pas de galeries nettement étagées, simplement deux "crans de descente" vers le nord (fig. 3).
Au point de vue lithologique, la majorité du réseau karstique est inscrit dans les Calcaires à Polypiers supérieurs du Bajocien moyen qui présentent à Pierre-la-Treiche un pendage monoclinal vers le nord-ouest (BRGM, 1985).
Enfin, il est à noter que la grotte se développe en partie sous un lambeau de terrasse fluviatile dont la base est à 234m daltitude (Losson, 1995), tandis quune autre formation alluviale à 225m (Dorniol, 1997) napparaît plus au niveau des entrées karstiques. Ces deux témoins dencaissement de la rivière dans sa vallée sont respectivement immédiatement antérieurs et postérieurs à la capture de la Moselle (Harmand et al., 1995).
Trois types dobservations principales peuvent être effectuées à lintérieur de la grotte Sainte-Reine.
Observations géologiques : outre la lithologie déjà évoquée, il sagit des fracturations et des joints de stratification qui, lorsquils ont été exploités par la corrosion, donnent des morphologies de type galeries-diaclase et anastomoses de joints de stratification respectivement ; toutes les formes intermédiaires de sections de galeries sont visibles dans le réseau.
Le spectre directionnel des fractures et fissures corrodées relevées dans la cavité (286 mesures) est nettement subméridien avec un pic principal à N165° (fig. 5). Par rapport aux composantes directionnelles cumulées des galeries du réseau de Sainte-Reine (fig. 4), il existe une bonne corrélation densemble, même si les directions de galeries les plus représentées ne se calquent pas exactement sur celles de la fracturation. Ceci résulte très vraisemblablement du développement comparable des galeries tant sur les discontinuités tectoniques que stratigraphiques.
Observations morphologiques : elles permettent de définir à la fois le type de régime (noyé ou libre) et le sens des écoulements qui ont prévalu dans la formation des cavités (cf. Renault, 1967-1969, 1970). Dans la grotte Sainte-Reine, les morphologies de régime noyé sont partout présentes : anastomoses de joints de stratification et coupoles surtout, mais aussi vagues dérosion, pendants de voûte et fossiles en relief au toit des galeries. Les témoins découlements libres apparaissent nettement moins nombreux en raison de lobservation très rare des parties inférieures des conduits karstiques encombrées de sédiments (voir ci-après) : quelques cascades, sommets de marmites (?), cannelures verticales ont pu être constatées.
En ce qui concerne le sens des paléocirculations de la grotte, les vagues dérosion sont les morphologies les plus précieuses, étant donné la rareté des autres formes témoins. Malgré leur petit nombre densemble et leur manque de netteté parfois, elles indiquent une prédominance de leur genèse par des écoulements dirigés vers le nord (fig. 2).
Par ailleurs, il faut constater la présence de cheminées comblées par des sédiments de toute sorte, et apparemment en communication directe avec la terrasse sus-jacente aux cavités.
Observations sédimentologiques : sans entrer dans le détail dune étude sédimentologique, il est nécessaire de dégager les principales caractéristiques des remplissages qui encombrent le réseau karstique. En effet, ceux-ci comblent en moyenne les 3/4 des galeries et ont donc contribué pour une bonne part à lévolution de la grotte. Les sédiments sont essentiellement constitués dalluvions siliceuses dorigine vosgienne, par conséquent apportées par la Moselle, les éboulis, concrétions et peut-être argiles de décalcification entrant pour une proportion nettement moins importante dans les remplissages. Ces alluvions présentent une granulométrie variable dans les trois dimensions spatiales, ce qui correspond à des changements de régime fluvial importants dans le temps et aussi en rapport avec les macro-morphologies souterraines. Une vision densemble de ces alluvions laisse toutefois entrevoir une granodécroissance globale vers le nord.
Ces trois types dobservations hypogées évoquées permettent de poser les bases de la karstogenèse de la grotte Sainte-Reine.
La genèse dun endokarst résulte de la "dissipation simultanée des trois types dénergie" que sont lénergie mécanique, lénergie chimique et lénergie potentielle (Quinif, 1998). Dans le cas de la grotte Sainte-Reine, ces conditions se retrouvent avec plus ou moins de netteté.
Tout dabord, le karst se développe dans un substratum carbonaté présentant des discontinuités dorigine tectonique et lithostratigraphique. Lintroduction de leau dans la roche a bel et bien eu lieu par lintermédiaire des fracturations dont les ouvertures étaient probablement favorisées à Pierre-la-Treiche par la présence dune flexure, clairement visible dans le profil en long de la Moselle (Losson, 1995). Lextension latérale de la karstification sest par ailleurs produite selon les joints de stratification, dont les ouvertures ont pu exister en relation avec le contexte géologique récifal ("masses construites peu épaisses à grande extension latérale (biostromes)"; Le Roux, 1985).
La deuxième énergie mise en oeuvre dans la karstogenèse de Sainte-Reine est liée à la présence dune eau agressive (milieu alluvial siliceux), constamment renouvelée par la Moselle. En effet, les observations morphologiques et sédimentologiques effectuées dans la grotte Sainte-Reine apportent la confirmation du phénomène de défluviation de la rivière, déjà constatée par ailleurs (Gamez et al., 1995; Losson, 1995).
Enfin, lénergie hydrodynamique à lorigine du réseau de Sainte-Reine pose plus de problèmes. Si les apports liquides mosellans ont dû être constants au cours du temps et même parfois abondants, la dénivellation nécessaire à la karstogenèse apparaît difficile à définir. Un éclaircissement sur les circonstances de la karstification simpose.
Lobservation dans la cavité de cheminées de soutirage en communication avec la terrasse fluviatile (anté capture mosellane) située à 234m daltitude, ainsi que les spectres pétrographiques comparés des galets de la formation alluviale correspondante et de ceux des remplissages endokarstiques, indiquent clairement une genèse sous-alluviale de la grotte Sainte-Reine (Gamez et Losson, 1998). Nous sommes donc dans le cas dune karstlfication générée par des infiltrations deau issues dune paléo-nappe alluviale mosellane, elle-même alimentée par la rivière (Gamez et al., 1995; Gamez et Losson, 1998).
Lévolution karstogénétique générale du réseau peut être retracée comme suit: à la karstification en régime noyé initiale a succédé une phase à écoulements libres ayant surcreusé verticalement certaines galeries (alors syngénétiques ; Renault, 1967-1969, 1970). Puis sest mis en place le remplissage par remaniements dapports alluviaux mosellans gravitaires ; les circulations libres ont été prédominantes au vu de la granulométrie des sédiments, mais des phases noyées ne sont pas à exclure. Cette deuxième grande période de lhistoire de la grotte correspond donc à une phase paragénétique (Renault, 1967-1969, 1970) et apparaît liée à des variations climatiques (Gamez et Losson, 1998), agissant en interaction avec la macro-morphologie souterraine modifiée continuellement.
Lalternance des régimes noyés et libres lors de la karstogenèse correspond vraisemblablement à des battements de la nappe phréatique bajocienne, ce qui revient à considérer qu'il a existé des fluctuations du deuxième paramètre de lénergie potentielle quest la dénivellation (Quinif, 1983, 1998).
Les seules observations endokarstiques de la grotte Sainte-Reine ne permettent pas de résoudre le problème posé. En effet, pour cerner la question du niveau de base, il serait nécessaire de connaître en priorité les émergences des circulations souterraines ; or, les données relatives à ce karst de restitution (Gamez et al., 1995) restent encore à découvrir. Néanmoins, des hypothèses peuvent être avancées.
Lorsque la nappe phréatique bajocienne était en charge, la karstification de Sainte-Reine seffectuait en régime noyé, par des circulations lentes, mais corrosives tout de même (proximité de la source dénergie principale quest la nappe phréatique alluviale). Etant donné que la karstogenèse sest produite avant la capture de la Moselle (Gamez et Losson, 1998), les exutoires de ces écoulements de nappe sont à rechercher dans lancien bassin versant de la Meurthe altitudinalement "déprimé" (Harmand, 1989), aux alentours de Liverdun probablement (fig. 1). En revanche, lorsque le niveau piézométrique de la nappe bajocienne était suffisamment bas pour permettre des circulations libres dans la grotte de Sainte-Reine, le niveau de base karstique ne devait plus être régional mais local puisquil sagissait vraisemblablement de la nappe phréatique elle-même. Il est possible alors que lancien bassin versant de la Meurthe nexerçait plus le même pouvoir attractif sur les écoulements hydrogéologiques, mais était supplanté un temps par un rôle plus important du pendage des couches géologiques vers le synclinal de Savonnières-Dieulouard (fig. 1).
Quoiquil en soit, le réseau karstique de Sainte-Reine résulte bien de la concentration simultanée des trois énergies mécanique, chimique et hydrodynamique, indispensable à la création dun endokarst pénétrable (Quinif, 1983, 1998). Seule la puissance de chacune de ces énergies a varié au cours du temps ... jusquà lassèchement puis la désactivation de la grotte, consécutifs à lencaissement de la Moselle dans sa vallée.
Je tiens à remercier M. P. Gamez pour l'intérêt particulier qu'il porte à cette recherche menée au Centre dEtudes Géographiques de l'université de Metz.
Benoît LOSSON,
Centre d'Études Géographique
de l'Université de Metz (18,
impasse du Moulin - F-57070 Saint-Julien-lès-Metz).
Article paru in : Regards n°37 (bulletin de
l'Union
Belge de Spéléologie),
1999, p.29-32
Communication réalisée lors des 2ème
Journées
de Spéléologie Scientifique,
21 novembre 1998, Han-sur-Lesse (Belgique).
France - Lorraine - Grotte Sainte-Reine - Karstogenèse - Capture de la Moselle.
Les observations effectuées dans la grotte Sainte-Reine à Pierre-la-Treiche permettent de préciser les causes et les circonstances de la karstogenèse de ce réseau. Une étroite relation existe entre cet endokarst pénétrable et la Moselle, puisque la rivière a véritablement donné naissance à la cavité, tandis que le karst représente un témoin des anciennes percées hydrogéologiques ayant favorisé la capture de la Moselle.
France - Lorraine - Sainte-Reines cave - Karstogenesis - Moselle piracy.
A karstogenetic sketch of Sainte-Reines cave at Pierre-la-Treiche (Lorraine, France).
The observations maked out in Sainte-Reines cave at Pierre-la-Treiche allow us to specify the causes and circumstances of the karstogenesis of this network. A narrow relation exist between this endokarst and the Moselle river, because the stream has created the cavern whereas the karst is a witness of the hydrogeological paleodrainages which have favoured the Moselle piracy.
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